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Activités Dominique Vibrac
22 juin 2015

Jacques Sirgent et le guide des vampires

J'ai lu avec plaisir dans les transports parisiens ce jour le livre de Jacques Sirgent : clair, bien informé, ouvrant des perspectives. Il s'agit d'un petit guide ne pouvant tout dire, mais disant bien l'essentiel, et surtout offrant des pistes de recherche à emprunter. De façon manifeste, ce connaisseur passionné maîtrise très bien son sujet. Nous lui en savons gré. Bien écrit, de façon alerte, érudit sans être pesant, ce petit livre est un "manuel" au sens premier du mot, autrement dit un livre que l'on peut tenir en main! Et qui donne un excellent aperçu sur une question fascinante et parfois inquiétante.

Bien entendu la question du sang est centrale. Il est vrai que "la peur de perdre son sang, perte qui symbolise une mort presque immédiate remonte à la nuit des temps, de l'ignorance de ce qui peut faire mourir" (JS, p. 9). JS montre bien la complexité de la définition de vampire, ce qui justifie les rapprochements opérés. Les pages consacrées aux rituels funéraires romains (pp. 14-17) puis à la présence du vampire dans les cinq continents (18-31) sont bien instructives. L'évocation de trois personnages historiques considérés comme vampires (Gilles de Rais, Vlad Tepes Dracul, Erzsébeth Bathory) est suggestive. J'ai pour ma part beaucoup apprécié le chapitre "Des liens étroits entre vampirisme et sorcellerie" (pp. 42-49) On prouve son amour en partageant son sang comme la mère de famille du conte de Grimm "la Gardienne d'Oie" qui s'entaille un doigt, recueille trois gouttes de sang qu'elle dépose dans un mouchoir qu'elle confie à sa fille". On se souvient qu'au XVIe siècle, Jean Bodin (1530-1596), non seulement économiste mais féru de sciences occultes, dans un ouvrage d'un intérêt capital "De la démonomanie des sorciers" prétend que ces derniers "mangent de la chair humaine et boivent du sang". Spiritualité chrétienne inversée. Au demeurant dès 785, le Concile de Paderborn publie un édit prohibant la pratique de boire du sang humain. Ce qui atteste de sa récurrence et donne un singulier relief à la dévotion eucharistique, à entendre au sens le plus réaliste et cru (si l'on ose dire). Des miracles eucharistiques comme le Saint-Sang de Bruges sont peut-être troublants pour le catholique aseptisé d'aujourd'hui mais renvoie à  quelque chose de profond dans le désir humain. Au demeurant la théologie du Concile de Trente au XVIe siècle parle de la messe comme du renouvellement non sanglant d'un sacrifice bel et bien sanglant. Le délire anti-sorcier et anti-sorcière de la même époque atteste d'une même obsession. Henri Boguet dans son manuel de procédure pénale (1603) stipule ainsi dans son article 3 consacré à la sorcellerie que cette dernière est un crime difficile à identifier et donc que l'on pourra accuser quelqu'un d'être un vampire sans aucune preuve. Fouquier-Tinville ou Staline n'ont rien inventer.  
La partie "le vampirisme dans les arts" (pp. 64-75) nous met l'eau (ou le sang?) à la bouche. Au passage je note que Sirgent voit bien en Balzac un auteur soucieux d'occulte, ce que nos enseignants semblent vouloir..occulter. Barbey d'Aurevilly, entre autres, mérite d'être redécouvert. Les quelques pages merveilleuses sur le vampirisme dans les textes d'amour courtois (pp. 76-79) m'a enchanté, à commencer par le conte "les trois chevaliers et la chemise" du troubadour belge Jacques de Baisieux. Un chevalier ne dit pas à une femme qu'il l'aime mais le prouve en versant son sang. Sirgent nous signale des textes d'un intérêt capital comme le "Traité sur les apparitions des anges, des démons et des esprits et sur les revenants et vampires..." (1746) de Dom Calvet, cet extraordinaire érudit.
Dans la partie "la palingénésie des spectres" Sirgent évoque le ... retour de ce que le feu semble avoir réduit en cendres! Les bûchers rendent hommage indirectement à ceux qu'ils veulent anéantir. Cette vérité s'exprime dans l'étonnante croyance selon laquelle les exhalaisons qui s'échappent des restes d'une personne enterrée peuvent revenir sous forme de vapeurs (cf. p 99).
Le vampire peut aussi être une femme (pp. 100- 102) Quant à Dracula, on n'aura jamais fini de le découvrir comme le souligne Sirgent dans son chapitre "Mystère Dracula" (pp. 105-109). A cet égard, je partage l'appréciation positive qui est celle de Sirgent du film "Dracula Untold" de Gary Shore avec l'excellent Luke Evans (2014). Sirgent nous parle aussi de la Bête du Gevaudan et des tueurs en série. Enfin le chapitre consacré à l'arbre vampire en trois versions (pp. 128-130) m'a appris des choses que j'ignorais totalement.
Mort-vivant, le vampire est également un "non-mort" (cf. p. 11) : "il n'a pas d'âme et ne peut donc traverser la frontière entre les vivants et les frontières. Toutes les religions incorporent à leurs croyances la notion d'âme (...) Le vampire n'ayant pas d'âme, il ne peut donc quitter cette terre. Mais cela n'en fait pas un monstre pour autant puisqu'il a un coeur et peut-être même du corps. En tout cas notre ami Jacques Sirgent le rend bien vivant!!
Dominique VIBRAC, Docteur de l'Université de Paris IV Sorbonne, historien et philosophe, spécialiste des religions et de l'ésotérisme.

sirrrrrrrrrr

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